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Kuro
   Kuro observait avec des yeux émerveillés la neige qui tombait doucement dehors. Les fins flocons portés par le vent venaient s'échouer contre l'épaisse vitre, donnant l'impression que des cristaux de glace avaient été gravés dans la fenêtre.
  - Je peux sortir jouer ? demanda le garçonnet.
   Son majordome s'avança, bien droit dans son habit noir.
  - Hélas monsieur vous savez bien que non. Votre santé ne le permet pas...
  - Mais juste cinq minutes ! protesta-t-il. S'il-te-plaît !
   L'homme secoua de droite à gauche la tête, visiblement peiné pour lui, mais pas résolu pour autant à fléchir. Il comprenait que cela devait être dur, mais le jeune maître ne pouvait se permettre de courir le moindre risque.
  - Vous avez bien d'autres moyens de vous amuser, monsieur ! dit-il en désignant d'un large geste du bras les jouets de toutes sortes qui s'entassaient dans la chambre.
   Le garçonnet fit la moue.
  - Mais moi je m'en fiche de ça, je veux jouer dans la neige ! Rien qu'une fois ! Papa n'aura pas besoin de le savoir !
   Le majordome se recula jusqu'à la double porte en bois lustré, son visage inexpressif légèrement peiné.
  - Non monsieur... Il fit un pas dans le couloir. N'oublier pas le bal de ce soir, vos parents tiennent à vous y voir présent.
   Sur ce, il referma la porte, laissant l'enfant seul au milieu des montagnes de jouets. Ses yeux gris s'étaient embués, et dans un élan de colère il frappa du pied un gros polochon qui trainait, avant de s'y laissant tomber mollement pour éclater en sanglots.
   Il en avait tellement marre de cette vie... Il ne pouvait absolument rien faire, à cause du risque d'aggraver sa maladie. Contrairement à la plupart des garçons de son âge, lui n'avait quasiment jamais rien vécu, enfermé dans une tour d'ivoire, entre jouets et médicaments. Les seules fois où il était autorisé à sortir de chez lui, c'était pour allez à l'hôpital, trois fois par semaine.
   Il frissonna. Il n'aimait pas aller là-bas. Trop grand, trop blanc, avec son air saturé qui n'avait aucun goût, excepté celui du désinfectant et de la mort. Lorsqu'il était là-bas, c'était pour des heures entières, voir même toute une journée. Et il restait alors à ne rien faire, pendant que des spécialistes venus du monde entier l'étudiaient, essayant de comprendre ce qu'il avait comme des aventuriers en pleine jungle cherchant la clé d'une énigme.
   Une énigme qu'ils ne résoudraient jamais.
   Enfin ça, c'était ce qu'ils lisaient dans les yeux des médecins. Car ses parents eux, continuaient de lui assurer qu'il serait guéri, bientôt. Alors lui, tel un chien attendant que son maître revienne un jour, il attendait le "bientôt". Et les mois s'entassaient, les années défilaient. Mais toujours la même réponse :
  - Bientôt.

 

 

Shiro
   En cette nuit là d'hiver, alors que la neige tombait doucement, dans la demeure de la famille Xërs tout était lumière et festivité. Dans l'obscurité et la froideur de la nuit, des convives arrivaient encore, garant leurs voitures et longeant à pieds les allées enneigées du jardin. C'était ainsi, silencieusement, que les invités se dirigeaient vers le manoir et passaient le seuil, une douce chaleur les enveloppant. Ce fut beaucoup moins silencieusement qu'une limousine blanche vint, contrairement aux autres voitures, se garer devant l'entrée du manoir, la lumière de ses phares transperçant la nuit. Le conducteur, vêtu tout en noir, descendit le premier et alla ouvrir la portière, faisant sortir très poliment une jeune femme brune coquettement habillée ainsi qu'un homme élégant dont le visage reflétait une certaine dureté. Ils franchirent le seuil du manoir, discutant tranquillement tandis que derrière, sortant le dernier, un petit garçon s'enfonçait dans la neige. Le majordome, amusé, le souleva délicatement et le posa devant l'imposante porte. Tout en enlevant la neige de ses vêtements, il lui conseilla de ne pas perdre de vue ses parents.

 

 

Kuro
   Kuro poussa un soupir discret, et après avoir attraper une pleine poignée d'amuse-bouche partit s'asseoir dans un coin, à l'abri des regards derrière un pilier de marbre. Il n'aimait pas les bals. Dans les histoires qu'il avait lu, c'était des fêtes pleines de musique où les gens dansaient et s'amusaient tout en rigolant.  Mais là...
   Il jeta un bref coup d'Å“il à la foule de personnes rassemblées en petits groupes qui discutaient à mi-voix. Leurs robes et leurs costards scintillaient, tous comme leurs bijoux, mais ils voyaient bien que leurs yeux, eux, étaient vides, ou alors emplit de haine et de hypocrisie. Ces gens-là, avec leur flûte de champagne et leur gloussement n'étaient que des comédiens, des acteurs jouant grotesquement la bienveillance et l'entente.
   Kuro fourra les apéritifs dans sa bouche tout en cherchant un moyen de se distraire. Bien évidemment, il n'y avait personne de son âge...
Son regard d'un gris brumeux glissa lentement vers la fenêtre, d'où l'on apercevait le paysage enneigé. Un sourire malicieux élargit sa bouche.

   Quelques minutes plus tard, bien emmitouflé dans des vêtements d'hivers qu'il avait trouvé dans sa grande armoire, Kuro entreprit de descendre dans le grand hall d'entrée sans qu'on ne l'aperçoive. Heureusement l'endroit était désert ; les invités étaient dans la salle de bal et tous les domestiques du manoir s'affairaient dans les cuisines.
   Arrivé devant les grandes portes d'entrée il se stoppa, en proie à une dernière hésitation. Faisait-il vraiment bien de désobéir ? Certes, il mourrait d'envie d'aller jouer dans la neige - ce serrait la première fois de sa vie - mais si ses parents refusaient cela, n'y avait-il pas une raison ? Il réfléchit quelques secondes à cela avant de soudain pousser les lourdes portes, laissant entrer un vent glacial.
   Après tout, il était un enfant, il avait bien le droit de jouer.
   Il sortit.

 

 

Shiro
   Ã€ l'intérieur, au chaud, tout le monde devenait plus bavard. Si et là des groupes de personnes parlaient de choses et d'autres : plaisanteries, anecdotes de la vie quotidienne et surtout d'affaires, car si cette fête avait été organisée, c'était bien pour cela. C'est au milieu de tout ce beau monde, dans un coin, que le petit garçon semblait avoir été laissé à l'abandon. Aucun enfant de son âge avec qui parler et encore moins un adulte pour venir s'amuser avec lui. Il était seul, le cadet Yamato. D'habitude, c'est à ce moment là que son grand frère arrivait pour le sortir de son ennui, mais pas ce soir-là.

   Le garçonnet observait le monde qui l'entourait, un peu perdu, cherchant des yeux quelqu'un qu'il connaissait et là, il le vit, le majordome de son père. Il courut vers lui aussi vite que ses jambes le lui permettaient et arrivé à son niveau, comme le majordome freina brusquement, il se cogna contre sa jambe. L'homme, qui était un géant comparé à ce petit être, se retourna, baissant les yeux et s'accroupit.
  - Le jeune maître désire-il quelque chose ? fit-il d'un ton froid.
  - Hashimoto, je m'ennuie tu sais ?
  - Eh bien, trouvez donc quelque chose pour vous amusez ! Je n'ai pas le temps de m'occuper de vous, je travaille.
   Le garçonnet baissa les yeux au sol, semblant très déçu de la réponse du domestique. Ce dernier soupira. Il réfléchit un court instant puis se redressa. Il avait bien une petite idée de ce que pouvait faire son jeune maître, mais il ne savait pas s'il avait le droit. Il en arriva à la conclusion que cela ne dérangerai absolument pas. Il reprit.
  - Je vous apporte votre manteau et ainsi couvert, vous pourrez aller jouer dans le jardin avec la neige. Cela vous convient-il ?
   Les yeux de l'enfant se mirent à briller d'impatience.
  - Oh Oui ! Je veux aller jouer dans le jardin, emmène-moi dans le jardin !
   Et en moins de temps qu'il ne faut pour le croire, l'homme s'exécuta. Il alla chercher rapidement la veste du garçon, la lui mit et la boutonna soigneusement pour que le petit n'ai pas froid. Une fois cela fait, il l'emmena dehors, dans le jardin et le posa là en lui disant bien de faire attention à ne marcher que dans les allées s'il ne voulait pas creuser sa tombe dans la neige. Oui, il l'avait dit en ces termes. Le majordome s'inclina très poliment ensuite avant de quitter l'enfant.


Kuro quelques minutes auparavant...
   Ses yeux gris s'agrandirent d'extase face au paysage qui s'offrait à lui. Le gigantesque jardin était totalement recouvert de neige, les arbres devenus statues de sel se reliant les uns aux autres par des ponts blancs. Il n'en revenait pas ! Il était dehors ! Il s'avança doucement, posant délicatement ses pieds dans la neige comme s'il avait peur d'abimer ce beau sol d'albâtre. Il sentait à peine le froid mordant qui semblait l'envahir en même temps que les flocons qui tombaient des étoiles. Le jeune garçon était emplit d'excitation et un sourire emplissait son visage rougit par l'air glacé. Dans un éclat de rire et prit d'euphorie il se mit soudain à courir pour s'enfoncer brusquement dans la neige, seul le haut de son bonnet dépassant de l'épaisse couche blanche. Kuro poussa un petit cri et essaya tant bien que mal de s'en extraire. Il ne pensait pas que la neige était aussi profonde... ni aussi froide. Il éternua. 


Shiro & Kuro
   Les yeux de Shiro parcoururent le jardin dans son intégralité. Un manteau blanc le recouvrait. La neige, quelque chose de tellement pur et magnifique. Les yeux tournés à présent vers le ciel noir d'encre, le garçon observait les flocons éclairés par les lumières du manoir tomber et venir fondre sur le bout de son nez. La neige était sûrement ce que ce petit enfant aimait le plus au monde. Il commençait tout juste à s'amuser lorsqu'un étrange bruit se fit entendre, deux bruits plus précisément. Le premier, qu'il identifia comme étant le même son que lui avait fait lorsque à son arrivé, il s'était enneigé, et le second, mignon, un éternuement.

   Il tourna la tête en tout sens, cherchant l'origine du bruit car s'il y avait quelqu'un ici avec qui il pourrait s'amuser, il voulait le trouver, pour ne plus être seul dans son ennui.  

   Le garçonnet commença à marcher dans la partie du jardin où la neige était plus profonde. Avancer était un peu difficile dans cet endroit mais il s'en sortait plutôt bien. Il repéra au loin quelque chose se redresser. Il s'approcha plus rapidement et poussa une petite exclamation. Là, devant lui, un petit bonhomme de neige ! Un bonhomme de neige vivant et petit comme lui ! Non, ce n'étais pas un bonhomme de neige, c'était un bon-enfant de neige ! Il se planta devant sa nouvelle découverte, excité comme une puce, et après avoir sautillé sur place en claquant ses mains gantés, il adressa la parole à l'autre personne devant lui, qu'il identifiait comme un être fait de neige.
  - Dis, dis, tu es un vrai bon-enfant de neige ?
   Kuro sursauta en entendant la voix retentir derrière lui et se retourna d'un bond. C'était un petit garçon qui lui faisait face. Qu'est-ce qu'il faisait là ? Il frissonna et parti soudain en courant pour aller se cacher derrière un arbre, manquant de s'enfoncer à nouveau dans la neige. Les mains posées sur l'écorce gelé il observa le nouveau venu, tremblant de froid et de timidité.
   Shiro pencha la tête sur le côté en voyant ce petit bon-enfant de neige aller se cacher. Il se demandait bien pourquoi d'ailleurs. Il fit un demi-tour, pour vérifier qu'il n'y avait pas de monstre derrière lui, comme souvent on lui avait raconté dans les histoires pour s'endormir, et, n'en voyant pas, il revint dans sa position initiale. Il fit quelques pas vers l'arbre.
  - Ne t'inquiète pas Bonhommonou ! Je ne veux pas te faire fondre !
  Bonhommonou ? Quel étrange nom... pensa Kuro en dévisageant l'autre enfant. Il poussa un nouveau petit éternuement, ses vêtements tout blanc à cause de sa chute. Il n'aurait jamais cru que la neige était aussi froide et il devait admettre que papa et maman avait un peu raison finalement. Mais juste un peu.
  - B-Bonhommonou ? bégaya-t-il.
  - Oui, Bonhommonou, c'est comme un Bonhomme de neige ! dit-il, faisant des grands gestes avec ses bras pour ainsi imiter ce qui, dans son imagination d'enfant, était un Bonhomme de neige adulte. Sauf qu'au lieu d'être tout grand, il est tout petit comme nous. C'est un bon-enfant de neige. Mais c'est plus joli de dire Bonhommonou.
   Il fit un grand sourire et arriva devant ce petit garçon aux cheveux plus sombres que les siens et commença à enlever la neige de ses vêtements.
  - Si tu restes tout couvert de neige, tu vas attraper froid et tu vas avoir un rhume, et tu vas te moucher tout le temps, et tu vas rester toute la journée dans ton lit à dormir !
   Kuro le laissait faire en écoutant ses conseils, hochant doucement la tête. Ce garçon lui paraissait vraiment gentil...
  - C-Comment tu t'appelles ?
  - Moi ? il sourit de nouveau, Moi, je m'appelle Shiro Yamato ! Et toi, tu t'appelles comment ?
  - Kuro... Kuro Xërs... murmura-t-il timidement.
  - Xërs ? Il est bizarroïde ce nom... C'est tout pareil que le nom du gens que papa est venu voir !
   Le petit garçon frottait doucement ses mains l'une contre l'autre, la peau frigorifiée malgré ses épais gants, avant de dire : «Oui c'est mon papa qui a organisé le bal...».
   Shiro ouvrit de grands yeux surpris.
  - Waaah ! Est-ce que ça veut dire que ton papa il a toute la grande maison avec tous les gens dedans ? Trop super !
  - N-Non... Juste la maison, pas les gens... murmura-t-il timidement, ayant un peu peur de le contredire.
  - Ah ? Mais pourquoi mon papa alors il dit que nous on est les invités de ton papa à toi ?
  - Parce que c'est le cas...
   Il éternua à nouveau. Qu'il faisait froid... Est-ce que c'était tout ce qu'on pouvait faire dans la neige ? Tomber et attraper un rhume ?
   Shiro, distrait par autre chose, ne prêtait déjà plus attention à ce que lui disait son nouveau et seul compagnon de jeu. Il lui avait tourné le dos et s'était accroupi. Il ramenait à lui la neige tout autour de lui, formant un petit tas difforme devant ses pieds. Il y avait une chose qu'il voulait à tout prix faire, maintenant qu'il avait quelqu'un avec qui s'amuser, quelque chose qu'il n'avait jamais l'occasion de faire. Il se releva, une forme blanche et ronde entre ses mains et se retourna timidement avant d'afficher un grand sourire malicieux et de jeter au visage de Kuro ce qu'il avait à la main : une boule de neige.
  - BATAAAAAAAILLE !!!!!!
    Kuro poussa un cri horrifié en se prenant le projectile en pleine tête et tomba sur les fesses, ses yeux agrandit d'incompréhension à cet attentat qu'il venait de subir. Une bataille ?! Une bataille de quoi ?! pensa le petit garçon, tout paniqué. Est-ce que la guerre venait d'éclater ?!
  - Alleeeeeeez ! Fait des boules de neiges ! dit le garçonnet aux cheveux clairs qui était déjà en train d'en préparer une nouvelle.
    Kuro se pencha en avant et prit de la neige dans ses mains, commençant à modeler une maladroite boule de neige. Il resta un instant immobile, hésitant à te la lancer. C'était ça, le jeu ? «Hiii !!» Visiblement oui, puisqu'il venait de se prendre à nouveau de la neige dans le visage – c'était froid ! Il hésita encore un instant et te la lança, visant ton torse maladroitement. Sa boule de neige s'écrasa pitoyablement au sol avant même d'avoir put frôler son adversaire. Vexé, Kuro recommença en y mettant un peu plus de force.
    Les boules de neige commencèrent alors à filer dans les airs en même temps que les rires, traversant le ciel noir comme des étoiles filantes. La glace avait fini de se briser entre eux, ouvrant un monde d'amusement dont seul les enfants avaient la clé. L'un caché derrière un arbre, l'autre derrière une muraille de neige, la bataille faisait rage. Mais ici, pas de coups ni de cris, pas de vainqueur ni de perdant ; des rires, juste des rires qui faisaient sourire les étoiles et étinceler la neige. C'était un monde d'enfant où le moindre monticule devenait une forteresse, un endroit où les oiseaux cachés dans les arbres enneigés devenaient des messagers, un lieu où «jouer» rimait avec «éternité».
    Les sirènes des voitures de police déchirèrent soudain la nuit, brisant les éclats de rire des deux enfants.

Blanc et Noir

de Mat & Zed

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