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   J'accélérais un peu plus. Devant moi la route n'apparaissait à travers le noir que quelques mètres à l'avance, tout juste éclairée par les phares de ma voiture. Je filais à une vitesse folle, les flocons de neige glissant sur la carrosserie sans avoir le temps de s'y accrocher. Tout défilait autour de moi, devenant un film passé en accéléré. Rien ne pouvait m'atteindre. J'étais comme invincible, survolant la route en me contentant de frôler l'asphalte et raser le ciel enneigé.
   Un bruit de moteur se fît entendre derrière moi, surplombant celui de ma propre voiture. Je serrais les mâchoires, resserrant ma prise autour du volant. Je ne le laisserais pas me doubler aussi facilement. D'une légère pression du pied l'engin accéléra encore un peu plus, ne me laissant découvrir qu'au dernier moment les obstacles de la route, faisant bouillonner mon sang d'adrénaline. C'était ça, se sentir vivant. Il suffisait d'avoir la mort face à soit, de la regarder droit dans les yeux, pour voir le fragile et précieux lien qui nous maintenait dans ce monde.
   Un coup d'Å“il au rétroviseur me laissait échapper un juron. La voiture adverse se rapprochait. Il était hors de question que je laisse Franck gagner ; c'était mon honneur de pilote qui était en jeu.
  - Aller ma chérie, encore un petit effort... soufflais-je à l'attention de la puissante machine de course.
   C'était une pure race, au moteur vrombissant et à la carrosserie luisante. Le genre de petit bijou qui représente dix ans de salaire à une personne normale. Mais je n'étais pas une personne normale. J'étais Ichiro Yamato. Et j'étais riche. Très riche. Suffisamment pour m'offrir toutes les voitures de course que je voulais. Mais pas assez pour me payer la victoire. Ça, c'était à moi et mes talents de pilote uniquement de jouer.
  - Bien... Encore un peu plus...
   Je commençais à le semer. Bien que je percevais à peine la voiture adverse dans mon rétroviseur à cause de la neige qui avait redoublé de volume, j'étais sûr de moi. Je reportais mon attention sur la route. C'était à peine si je percevais le chemin goudronné. Non, d'ailleurs, je ne le percevais pas. Tout n'était plus qu'un paysage blanc qui se découvrait au dernier instant sous mes phares. Le bruit du puissant moteur lui-même semblait étouffé par les épais flocons. Peu importe. J'étais tellement doué, ce n'était pas ce genre de sale temps qui allait m'arrêter.
Je devais gagner. Parce que j'étais un Yamato. Parce que les Yamato gagnaient toujours.
   J'accélérais encore, la voiture filant à travers le paysage enneigé. Je jetais un coup d'Å“il au rétroviseur. Je devais l'avoir semé depuis un moment à une telle vitesse... Un sourire victorieux se dessinait sur mon visage. Je n'apercevais rien derrière moi, seulement le rideau blanc de flocons. Cette fois c'était sûr, la victoire m'était assurée.
   Je reportais mon regard sur la route.
   Trop tard.

 

Blanc et Noir

de Mat & Zed

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