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    Le garçon glissa au sol, son dos rasant le mur. Du sang coulait de son nez, tombant avant de s'éclater sur le sol de béton. Ses vêtements froissés et déchirés ne ressemblaient plus qu'à un tas de loques. Son sac avait renversé son contenu sur le sol, les cahiers éparpillés au milieu des stylos et des papiers dévoilant une écriture belle et régulière.

   Louis tremblait de tout son corps, une main pressée contre son nez. Une silhouette le surplombait, ricanante. 

   -  Bah alors Louichon, tu rigoles pas ? Pourtant moi j'le trouve très bien notre jeu, pas vous les gars ?

   Des voix approuvèrent, éclatant de rire. Louis redressa le menton et supplia : 

   -  S'il-te-plait Morgan, arrête...

   -  Hein ?!

   L'adolescent plaqua la tête de Louis avec son pied contre le mur. 

   - Non mais j'le crois pas, tu m'donnes un ordre ?

   -  Non, je... 

   - Lèche mes chaussures.

   Louis resta un instant immobile, abasourdi. Il osa lever les yeux vers Morgan, essayant vainement de trouver dans son regard la lueur de plaisanterie. Mais ils ne reflétaient rien de tous cela, juste une haine glacée. 

   -  J'ai dit lèche mes chaussures. Maintenant ! 

   L'adolescent avait crié son dernier mot en l'accompagnant d'un coup de pied qui cueillit Louis à l'estomac. Il comprit que son agresseur ne rigolait pas. Tremblant, il se pencha en avant et approcha son visage des chaussures. Il sentit des larmes de honte lui picoter les yeux tandis que la bande de son agresseur hurlait et rigolait à son sujet. Alors que sa langue n'était plus qu'à quelques millimètres du cuir, Morgan redressa brusquement son pied qui percuta la mâchoire de Louis dans un bruit sec. Le garçon tomba à la renverse, se tenant le menton. La violence du choc avait été énorme, et il avait l'impression que ses dents, en s'entrechoquant, avaient explosé. 

   Morgan l'attrapa par le col et le souleva du sol. Un sourire vicieux fendait son visage :

   - Je peux savoir ce que tu allais faire ?

   - Mais... C'est toi qui voulais que je...

   Son agresseur lui coupa la parole, éclatant d'un rire froid et cruel. Il se tourna vers sa bande :

   - Vous entendez ça les gars ? À l'entendre on pourrait croire que c'est moi qui lui ai dit de faire ça !

   Louis ferma les paupières tandis qu'on le huait. Il aurait voulu protester, frapper, se rebeller. Mais il ne pouvait pas. 

   -  Tu crois vraiment que j'aurais voulu que tu contamines mes shoes avec ta salive ? cracha Morgan. 

   Il le lâcha et le garçon s'écrasa par terre comme un vulgaire sac. Il recula et fit signe à sa bande qu'ils pouvaient s'amuser un peu, de la même manière que s'il aurait lâché un groupe de chiens enragés.

   Louis gémissait à chaque coup, qui pleuvait comme ses larmes. Et puis, au bout d'une éternité, ils se retirèrent sur ordre de leur chef. Morgan s'approcha de lui, sa bande s'écartant sur son passage. Même si Louis était couché sur le sol de béton, et qu'il ne voyait que les pieds de son agresseur, il eu le temps d'apercevoir l'éclat d'une lame.

   Il perdit connaissance. 

   

   Louis ouvrit péniblement les yeux. Le monde vacillait dans sa vision, tournoyait et se teintait de tâches écarlates. Il avait mal. Tellement mal.

   Tout son corps n'était plus qu'une poupée de chiffon, un pantin désarticulé. Sa peau était couverte d'hématomes et de contusions. S'il ne sentait plus aucun de ses membres, que pouvait-on dire de sa bouche ? Il cracha du sang, ce qui lui arracha une grimace de douleur. Il avait l'impression qu'elle avait doublé de volume, comme si elle avait enflé de l'intérieur. Il n'arrivait pas à réfléchir avec lucidité. Une des rares pensées qui parvint à traverser la brume de souffrance qui étouffait son cerveau fut qu'il devait avoir des dents cassées. Il voulut passer sa langue le long de sa dentition pour vérifier mais n'y arriva pas, où du moins ne sentait-il rien, comme si on lui avait anesthésié la bouche. 

   Il parvint à se trainer contre le mur, où il se redressa, non sans mal. Ce fut alors que sa main rencontra une matière visqueuse sur le sol. Il la retira vivement. Elle était tachée de sang. Malgré l'obscurité naissante il se pencha en avant et parvint voir ce qu'il avait touché. 

  Petit et couvert de sang, cela avait effectivement un aspect visqueux et sanglant, comme un organe. Il fronça les sourcils. Ce fut alors qu'un éclair lui traversa l'esprit. Il comprit.

   C'était une langue.

   Sa langue.

   Il hurla sans qu'aucun son ne s'échappe de sa bouche. 

  

 

 

Mâchoires serrées, larmes aux joues et collier de sang, tu es là devant moi, agonisant.

Tes mains ne se tendent plus que vers l'enfer, d'où tu espères vengeance.

Tes yeux sont remplis de glace et de haine, ton visage de douleur et de colère.

Tu ne peux parler pour accuser celui qui t'a détruit,

mais ton cri silencieux Ã©branle les murs de mon château de flammes. 

 

Requête acceptée.

   

 

  

   Morgan termina son coca d'un trait et le lança en direction d'une poubelle. La cannette rebondit sur le bord de métal et tomba au sol. L'adolescent soupira et se détourna, se dirigeant vers le quai de métro. Pas le temps de la ramasser, le train souterrain allait partir. 

   Il se fondit rapidement à travers la foule et franchit les portes du wagon. Morgan s'assit à côté d'une fenêtre et attendit, laissant vagabonder ses pensées. Il repensa à ce qu'il avait fait à Louis et sourit. Certains des gars de sa bande avaient essayé de l'arrêter, trouvant qu'il allait trop loin. Il leur avait rapidement rappelé en quelques coups qui commandait. Après tout, il l'avait bien cherché, ce petit intello. Toujours premier, toujours le meilleur. Toujours le plus sympathique, le plus populaire, le préféré. Morgan ne le supportait pas. 

   Il senti un tic nerveux parcourir ses mains et il ferma les yeux, se remémorant avec plaisir ce moment où c'était lui le maître, le plus fort. Cet instant où sa victime n'était plus rien, où son existence se tenait entre ses mains. Les cris de peur, ceux de douleur, les supplications, l'humiliation... 

   Un ébranlement le tira de sa rêverie. Le métro venait de se mettre en marche, avançant d'abord avec lenteur puis de plus en plus vite. Les quais disparurent, emportés par l'obscurité, faisant place aux murs de béton et de roche. Tout avait l'air normal, et pourtant, quelque chose le chiffonnait. Il mit quelques instants à trouver quoi.

   Le bruit.

   Aucun son, excepté le roulement de l'engin sur le chemin de fer. Pas de paroles, pas de rires, pas de pleurs, pas de respirations. Il parcourut du regard le wagon. Vide. Il fronça les sourcils. Il était pourtant sûr d'avoir vu d'autres gens monter. D'ailleurs, c'était une heure de pointe, le métro devrait étouffer de passagers. 

   Morgan haussa les épaules. Après tout, quelle importance ? Il sortit une cigarette de son sac et l'alluma. Au moins personne ne pourrait lui interdire de fumer, comme ça. Si le poison qu'il avalait parvenait à calmer légèrement ses nerfs, il ne pouvait s'empêcher de rester un peu inquiet. Plusieurs minutes passèrent ainsi avant que, au bord de la crise de nerf, il ne se lève pour aller voir dans les autres wagons. 

   Tous étaient vides. Son coeur battait maintenant la chamade. Une goutte de sueur se mit à perler son front. Un tic nerveux agita le coin de sa bouche, faisant tomber sa cigarette. Il ne prit pas la peine de la ramasser, ne sembla même pas la voir. Il venait d'entendre des bruits de pas. Une lueur d'espoir traversa son esprit. Il se retourna.

   L'homme qui lui faisait face n'était pas un passager. Du moins, pas une personne ordinaire. Grand, il était entièrement vêtu de noir et son visage était masqué. Il tourna lentement la tête vers l'adolescent, le temps semblant ralentir. L'instant se figea. Pour ce briser subitement dans le chuintement de la lame qui apparu dans la main de l'homme.

   Morgan sentit sa conscience revenir d'un coup et il se retourna, partant en courant tout en se maudissant de ne pas avoir gardé sur lui son couteau. Derrière lui l'homme se mit à marcher d'un pas tranquille, le suivant sans se presser. De toute façon à quoi bon ? Où pouvait-il aller ? Ils étaient dans un train sous terre, après tout. 

   Morgan aussi en était conscient, mais que pouvait-il faire à part fuir ? Il franchit un wagon, puis un autre. Il devait gagner du temps jusqu'à ce que le métro arrive au prochain quai, où il aurait une chance de s'enfuir. Il fit un rapide calcul et jugea que cela faisait un bon moment qu'il était là. Il ne devrait pas avoir à trop attendre. 

   Dans son dos résonnaient toujours les pas de l'homme. Que lui voulait ce type ? Il ressentait une irrésistible impression de danger en le regardant. En même temps, pas besoin de cette étrange situation dans un métro désert pour qu'un type masqué et armé semble dangereux. Ce fut alors qu'il arriva au bout du dernier wagon. Il resta un instant immobile avant de se plaquer contre les portes automatiques, prêt à s'élancer. Ce fut au moment où le train s'apprêtait à arriver à un quai que l'homme entra. 

   Morgan soupira intérieurement. Il avait encore une chance de s'en sortir. Il fixait son poursuivant. Parfaitement immobile, il dégageait une impressionnante aura de sang-froid. Le genre de personne qui se savait toujours en position de force. Il frissonna. Mais d'où venait ce type bon sang ? 

   Alors que l'homme se fichait devant lui les portes automatiques s'ouvrirent. Morgan se retourna d'un bond pour sauter... et se figea. Le quai défilait sous ses yeux pour disparaître dans les ténèbres. Le train ne s'était pas arrêté ! Il resta un instant interdit, trop surpris pour réagir. Il ne se reprit que lorsque l'homme l'empoigna par le col et le fit basculer en avant. Les portes ne s'étant pas refermées, Morgan se retrouvait penché au dessus du vide. Sa tête frôlait le mur tandis que sous lui gémissaient les rails. Il poussa un hurlement et attrapa le bras de son attaquant, se cramponnant de toutes ses forces de peur qu'il ne le lâche.

   L'homme jouait avec son poignard, le baladant sur le visage de l'adolescent, le frôlant. Des gouttes de sueurs froides perlaient le corps du garçon, dont les yeux étaient agrandis par la terreur. Morgan aurait voulut parler, supplier, lui dire d'arrêter, de le laisser, de ne pas le tuer. Mais aucun son ne sortait de sa gorge. Il ouvrit grand la bouche, restant désespérément muet.

   Ce fut alors qu'il sentit l'homme sourire sous son masque.

   Et le lâcher.

Underground Hell

de Zed

Loiseau Roux

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